Voici un livre ludique : il évoque la mort, la folie, l'érotisme, la domination, le huis clos hors du monde et du temps, la volonté de puissance, la majesté royale, la destruction "quand la personnalité de l'adversaire se brise" (Bobby Fisher) ; les vanités, la géométrie euclidienne et autres, "l'imagination du mouvement qui crée la beauté" (Marcel Duchamp) ; le simple divertissement, le jeu, l'esprit, l'art. En dix brefs chapitres, incisifs comme des pointes-sèches, Yves Marek esquisse l'histoire et capture l'essence du roi des jeux, aux enjeux multiples mais à la constante tension obsessionnelle : microcosme des passions, champ clos de l'esprit, "corps à corps entre deux labyrinthes" (André Breton), cosa mentale. Aussi, pour le saisir, le détour par l'art est-il la voie la plus directe. Vanité de Lubin Baugin, happening de Duchamp, structures abstraites d'Ugo Dossi ou d'Escher, anamorphoses de Vieira da Silva, fantaisies les plus délirantes des artistes contemporains ; lascives compositions orientalistes de Lecomte du Noüy ou de Matisse ; enluminures associant le jeu et l'amour courtois, condensé de violence chez Daumier ou Kirchner... ces registres si opposés n'ont d'autre lien que l'universelle aimantation, l'envoûtement exercé par l'obsédant quadrillage aux soixante-quatre cases. Les photographies prises par Robert Capa à Madrid, en 1936, ou à Tel-Aviv, en 1948, celle de Jiri Vsetecka à Prague, en 1968, de Leonard Freed en 1965 à Berlin-ouest le prouvent : le jeu d'échecs, comme l'œuvre d'art, est un "arrêt du temps." (Pierre Bonnard, Carnets).
Yves Marek
Imprimerie nationale 186 pages
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